Matthieu Drevon

Directeur du port de Pornichet

Auditeur de la Session Thématique 2018 sur le thème des défis de la relation clients/usagers/citoyens ...

 

 

 

Du monde militaire à l’entreprise privée : une vie de passions, de sel et d’embruns.

Cette formation a constitué une opportunité de m’ouvrir sur l’extérieur, de sortir de mon métier et d’élargir mes réseaux

Matthieu, tu as exercé des fonctions très variées au sein de la Marine Nationale, quel a été ton parcours ?  

J’ai eu un parcours classique d’officier dans la Marine nationale. Je suis rentré par l’École Navale en 1990 - diplômé en 1993 - et j’ai choisi d’être officier sur les bâtiments de surface. J’ai occupé beaucoup de postes embarqués. Ma première affectation a été sur un bateau basé à Fort de France, puis de 1995 à 1997, j’ai été à Brest commandant en second d’un bâtiment hydrographique. J’ai ensuite commandé pendant un an un navire basé à Djibouti et opérant en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden. Cette mission a été suivi d’un an de formation à Toulon dans le cadre de l’Ecole des Systèmes de Combat et Armes navales. 

A la suite à cette formation, j’ai eu de nouvelles affectations embarquées en Atlantique et en Océan Indien. Passionné par la navigation et la vie à bord, j’ai été réticent à accepter une affectation à l’Ecole Navale de Brest (2001-2004), qui m’a au final ravi. J’ai découvert le plaisir d’enseigner et de transmettre. Cela a été pour moi une expérience très riche. A posteriori cette expérience a été mon premier marqueur RH. J’ai apprécié embarquer ensuite sur une grosse frégate, basée à Brest, avec un équipage de 240 personnes, comme commandant adjoint équipage puis commandant adjoint opérations (2004-2006).

 

 

Tu décris des changements d’affectation très rapides. Est-ce la norme dans la Marine nationale et comment cela a-t-il été vécu par la famille ?

Oui c’est la norme. On change de poste tous les 1, 2 ou 3 ans. L’objectif est de progresser dans sa carrière en acquérant une large palette d’expériences et des compétences d’adaptabilité.

Cela permet des remises en question permanentes et de garder un esprit alerte ! Il n’y a jamais de routine, mais pour la famille c’est effectivement plus difficile, surtout si le conjoint travaille. Mon épouse a dû cesser de travailler et n’a pu reprendre une activité professionnelle qu’en 2011, lors d’un retour à Paris. Pour les enfants cela peut aussi être compliqué, surtout à l’adolescence … ! Mais, malgré ces contraintes réelles, c’est au final une belle et riche aventure familiale et une formidable ouverture sur le monde. Nous restons marqués par nos années aux Etats-Unis, pendant lesquelles mes enfants ont été scolarisés dans le système américain tout en suivant les cours du CNED. Aujourd’hui, ma fille aînée habite Lisbonne et l’un de mes fils travaille à l’international.

 

Tu parles des Etats-Unis, qu’est ce qui t’y a conduit ?

Tous les ans un officier de marine américain est sélectionné et vient suivre l’Ecole de Guerre à Paris et réciproquement un officier de marine français est sélectionné pour suivre la formation de l’Ecole de Guerre Navale Américaine (US Naval War College à Newport dans le Rhode Island). En 2006 j’ai posé ma candidature et ai eu l’honneur d’être sélectionné. 

On y fait beaucoup de stratégie à partir de cas concrets historiques. C’était juste après la guerre en Irak de 2003, à laquelle la France n’avait pas participé, et le regard des Américains sur la position de la France commençait à changer. Nous étions 50 étudiants étrangers parmi 350. Cela a été une année passionnante et l’occasion de nombreux voyages dans ce vaste pays pour découvrir la société américaine dans toute ses dimensions.

 

Tu avais en fait expérimenté un stage format IHEE US avant de faire un stage IHEE en France !

Oui tout à fait ! J’ai de plus eu la chance de poursuivre mon expérience américaine en étant affecté ensuite à l’état-major de l’Otan à Norfolk en Virginie. Ces années ont été extrêmement formatrices.
J’ai néanmoins retrouvé les théâtres d’opération avec bonheur : je suis reparti commander une frégate à la Réunion (2010-2011) pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie et patrouiller dans la ZEE des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Après ces cinq années loin de la métropole, ma deuxième dominante de carrière, les RH, m’a rattrapé, et j’ai été affecté à Paris comme numéro 2 du service de recrutement de la Marine (2011-2013). Ces deux années ont été suivies d’un commandement de frégate à Brest, mon dernier embarquement, avant de revenir à Paris pour une affectation (2015-2017) à l’Etat major des Armées, au centre de planification et de conduite des opérations, plus particulièrement en charge de la planification de la lutte contre DAESH.

Je prends ensuite, de 2017 à 2019, la tête du service de recrutement de la marine (300 personnes, réparties sur l’ensemble du territoire national) avec pour mission de recruter tous les ans 4 000 jeunes dans 50 métiers différents.

 

C’est donc pendant cette période que tu fais la Session Thématique de l'IHEE. Comment cela s’est-il décidé et qu’est-ce que cela a présenté comme intérêt pour toi ?

C’est effectivement à ce moment-là que ma hiérarchie m’a proposé de rejoindre la Session Thématique 2018. C’était un moment stratégique pour moi. Quand on est officier de carrière, on a droit à une pension de retraite à jouissance immédiate à partir de 27 années de service. Je ne voulais pas cesser toute activité professionnelle et souhaitais identifier une nouvelle activité sur un projet fort dans lequel je pourrai m’investir. Je voulais également découvrir le monde du privé. Cette formation a constitué une opportunité de m’ouvrir sur l’extérieur, de sortir de mon métier et d’élargir mes réseaux. 

J’ai trouvé extrêmement enrichissant de côtoyer des gens d’horizons professionnels complétement différents et qui m’ont donné envie de continuer à m’ouvrir l’esprit sur le monde extérieur, de casser ma routine et mes idées, peut-être toutes faites. J’étais déjà très en relation avec le monde de l’enseignement secondaire et supérieur, le monde de l’industrie de la défense, mais peu le monde de l’économie et des PME. C’est pendant le stage IHEE que s’est précisé pour moi le souhait de rejoindre une entreprise privée, si possible en lien avec le monde maritime mais hors du monde de la défense. Il fallait prospecter !

Ma dernière affectation en tant qu’adjoint du DRH de la Marine en charge du recrutement et de la formation à Tours, grande ville maritime !, m’a aidé à faire ce travail. J’ai donc quitté la marine en 2022.

 

Quelles sont les circonstances qui t’ont permis de devenir directeur du port de Pornichet ?

Je prends la décision en 2017-2018 de quitter la marine avant 59 ans (limite d’âge statutaire) car je sais que si j’attends trop mon projet d’expérience dans le privé ne pourra pas prendre forme. Je pars à 54 ans, ce qui est déjà un peu limite … je vais m’en rendre compte. Mais j’ai la chance d’être très bien accompagné par le pôle de transition professionnelle des anciens de l’École Navale. Je me consacre à 100 % à trouver un nouveau job. J’affine mon projet professionnel et arrive avec le temps à formuler précisément ce que je souhaite : un poste de direction dans une petite entreprise, hors monde de la défense et si possible en lien avec le monde maritime. J’ai fait beaucoup de réseautage et je dois reconnaître que l’expérience IHEE a été un plus pour mon CV, attestant d’une appétence réelle pour le monde de l’entreprise. Cette période, même si elle a été ponctuée de moments de doutes, a été riche de belles rencontres et de découvertes de milieux professionnels passionnants. Et puis un jour un ami nantais m’appelle en me disant qu’un cabinet RH de la ville cherche un Directeur pour le port de plaisance de Pornichet. Mes entretiens ont convaincu et j’ai obtenu le poste.

 

 

La réalité était-elle à la hauteur de tes attentes ? Que représente le Port de Plaisance de Pornichet ?

Juridiquement c’est une Société Anonyme à conseil d’administration qui a la gestion du port de Pornichet depuis 1976, année de sa construction. Il a été inauguré en 1978.

La structure comporte 10 salariés, renforcés de saisonniers en haute saison.

En termes de capacité d’accueil, c’est le 5ème port de la façade Atlantique (1 200 anneaux) avec un chiffre d’affaire d’un peu moins de 3 millions d’euros.

Ce qui m’a intéressé, hormis le fait que je suis marin et plaisancier depuis toujours, c’est que le nautisme est un secteur d’activité en pleine évolution sur beaucoup d’aspects. Les pratiques des usagers de la plaisance évoluent. Aujourd’hui les propriétaires des bateaux sont plutôt âgés, et de nouvelles pratiques de consommation caractérisent les jeunes générations. La location et la location partagée se développent et on voit arriver les premiers bateaux tout électrique. Il faut donc que les ports s’adaptent.

Il faut également accompagner la transition environnementale. Le port doit évoluer dans la gestion des déchets, des zones de carénage, le bilan carbone, l’adaptation à la hausse du niveau des océans. Dans un souci de préservation des ressources, la gestion des distributions d’eau et d’électricité doit aussi être revue. La norme ISO 18725, dite « norme mondiale Ports Propres », vient d’être créée et représente aujourd’hui un objectif de certification.

Je suis aussi administrateur de l’association des ports de plaisance de l’Atlantique, puissant réseau qui regroupe plus de 50 ports de Hendaye à Pornichet et permet de peser auprès de la Fédération Française des Ports de Plaisance et du Ministère de la Mer dans les décisions relatives à l’évolution des ports et des réglementations.

Le port de Pornichet sera complètement rénové à partir de 2027 pour s’adapter à ce monde qui change.

 

Pourquoi 2027 ?

2027 sera l’année de changement d’exploitant du port et ce sera l’occasion de projeter le port vers le futur : adaptation des digues à l’élévation du niveau de la mer et aux évènements climatiques violents, réorganisation des places de port pour s’adapter aux nouveaux usages et à des bateaux qui ont pris de l’embonpoint (comme les voitures !), reconstruction des bâtiments aux normes actuelles.

Il nous faut aussi modifier les habitudes des usagers, ce qui prend du temps. Il faut convaincre de l’importance de la dimension environnementale dans les activités du nautisme.

Je fais au final aujourd’hui un métier extrêmement varié, qui au-delà de la gestion du port, inclut aussi le fonctionnement du village de la marina, ses commerces, bars et restaurants et, bien entendu, la relation avec les divers usagers aux profils variés, mettant ainsi en pratique beaucoup de choses apprises au séminaire thématique de l’IHEE sur la Relation Client Usager !

Ce nouveau métier, loin des thématiques de Défense mais toujours au plus proche du milieu marin, correspond parfaitement à mes attentes et j’y trouve un bel épanouissement personnel et professionnel. Je considère ma reconversion réussie !

 

 

Que signifie aujourd’hui pour toi l’IHEE ? Qu’attendrais tu de notre association IHEE Connect ?

L’IHEE reste pour moi un modèle d’ouverture sur la société, un lieu d’échanges et de débats. Il est l’occasion de belles rencontres et de découvertes de domaines professionnels extrêmement enrichissantes. Avec le temps, j’ai perdu le lien avec mes camarades de séminaire de 2018. Lorsque j’étais à Paris je suivais quelques débats, mais basé à Pornichet c’est plus difficile.

J’apprécierai beaucoup que les activités incluent davantage la province et que, pour ce qui me concerne, des rdvs décentralisés soient organisés à Nantes.

 

 

 


Interview réalisée par Eric Fouache, Membre Honoraire Senior de l’IUF, Professeur de Géoarchéologie à l’UFR de Géographie et Aménagement de Sorbonne Université, UR Médiations « sciences des lieux sciences des liens ». Promo 2 de l’IHEE.